LES MISÉRABLES: SORTIE LE 3 AVRIL 1862
3 avril 1862
Publication des Misérables
Publié ou mis à jour le : 2016-04-01 18:47:36
Le 3 avril 1862 sortent en librairie les deux premiers tomes d'un roman promis à un succès exceptionnel : Les Misérables. L'auteur est un proscrit à barbe blanche, qui, de son exil de Guernesey, n'en finit pas de lancer des philippiques à l'encontre de l'empereur Napoléon III, alors à l'apogée de son règne.
Victor Hugo, car c'est de lui qu'il s'agit, a mûri pendant près de trente ans son projet romanesque. Le dernier roman qu'il ait écrit remonte à 1830 : Notre-Dame de Paris. Depuis lors, il s'est voué à la poésie et s'est hissé aux plus hautes marches de la gloire, mais sans cesser d'être travaillé par le sort des plus humbles et l'injustice sociale.
Avec Les Misérables, sa gloire va atteindre une dimension planétaire inconnue jusque-là dans le domaine littéraire. Et, plus important encore, une nouvelle conscience sociale va émerger dans la société occidentale.
Des Misères aux Misérables
Roman phare de Victor Hugo, Les Misérables sont le fruit d'une longue gestation.
Dès 1828, le jeune écrivain, tout royaliste qu’il soit, envisage un grand roman sur le thème de la misère, simplement intitulé Les Misères.
Commence la période de la documentation avec collecte de coupures de presse, visite des lieux (bagnes, usines ou champ de bataille de Waterloo, où il met le point final à son roman), et recueil de témoignages.
L'écriture elle-même commence le 7 novembre 1845, pour un premier jet se déroulant jusqu'en 1848. Mais la politique interrompt l'œuvre de création d'Hugo qui assiste indigné à l'abdication de Louis-Philippe et plus tard au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte (qu'il a d'abord soutenu).
Avant d'être obligé de fuir, il court de barricade en barricade, expérience qui deviendra un des temps forts de son roman où il met en scène le petit Gavroche, tout droit sorti de La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, peinte en 1830. L'exil lui offre le calme pour reprendre la plume, de 1860 à 1862.
Entre-temps, le projet a évolué, ses idées sociales étant devenues plus claires. Il ne s'agit plus des Misères, abstraction de l'état de pauvreté d'une partie de la population, mais des Misérables, incarnation du peuple souffrant à travers quelques personnages-types.
«Ce livre est immonde et inepte» (Charles Baudelaire)
Il faut trois mois, d'avril à juin 1862, pour publier les dix volumes des Misérables. Ce sont les éditeurs bruxellois Lacroix et Verboeckhoven qui ont remporté le contrat, contre la remise de 300.000 francs au poète, une somme énorme. Jusqu'au dernier moment, Hugo multiplie les relectures et retouches, avec l'aide de Juliette Drouet à la plume.
La campagne de lancement est menée de main de maître. D'aucuns la comparent à celle qui accompagne aujourd'hui la sortie d'un épisode d'Harry Potter !
Le jour de la sortie, les librairies sont prises d'assaut, la première partie est aussitôt épuisée, les traductions s'enchaînent : le succès est immense. Hugo a pris soin de demander la création d'une édition illustrée de petit format, au prix abordable, pour toucher un large public rendu impatient par les centaines d'affiches annonçant la publication.
Le peuple est séduit. On dit que dans les ateliers, les ouvriers se cotisent pour acheter les ouvrages et se les passer de main en main.
Mais les lettrés font la grimace. Peut-être parce que l'attente était énorme, la désillusion se révèle cruelle. Les critiques consternées se multiplient : contre le style tout d'abord, «intentionnellement incorrect et bas» (Gustave Flaubert) censé plagier le parler populaire. Puis contre le fond, qui dérange : ne risque-t-il pas de donner de faux espoirs au peuple, de lui faire miroiter cette «passion de l'impossible […] : l'extinction de toutes les misères» (Alphonse de Lamartine) ? Baudelaire confesse dans une lettre à sa mère : «Ce livre est immonde et inepte» (11 août 1862).
Les républicains lui reprochent de donner en exemple un prêtre (monseigneur Bienvenu), les catholiques d'accuser Dieu d'être à l'origine de la misère. Voici Hugo vilipendé pour avoir engendré «le livre le plus dangereux de ce temps» (Jules Barbey d'Aurevilly). Mais n'était-ce pas son but ?
«Un livre ayant la fraternité pour base et le progrès comme cime»(Hugo)
Les Misérables est un des premiers romans centré sur le peuple, non pour faire peur aux lecteurs, mais pour dénoncer les conditions de vie des plus humbles. Il n’a été précédé dans cette voie que par Les Mystères de Paris et en Angleterre par David Copperfield (1849, Charles Dickens).
On est plongé avec les «infortunés» au cœur de la première moitié du XIXe s. avec sa pauvreté, sa cruauté envers femmes et enfants, sa justice parfois injuste, mais aussi ses espoirs aperçus du haut des barricades. Mais Hugo n'a pas voulu faire un simple document sociologique ou historique ; il a souhaité signer une grande épopée sur l'humanité elle-même.
À travers ses personnages, c'est l'homme dans sa diversité et sa fragilité qu'il dépeint : Jean Valjean (Jean «V'la Jean») le courageux, Fantine («l'enfant») la victime, Cosette («la petite chose») et Gavroche, les enfants martyrs, les Thénardier et Javert, la cruauté et l'acharnement.
Derrière tous ces portraits, Hugo interroge l'individu confronté à sa conscience, constamment en équilibre entre le Bien et le Mal. La fameuse «tempête sous un crâne» qui ronge Jean Valjean quand un vagabond menace d’être condamné à sa place, c'est celle d'un homme qui lutte pour sa rédemption, passant au fil des ans du bagnard égoïste au bourgeois altruiste.
Il est présenté comme un modèle, comme l'espoir que chacun doit trouver dans ses propres ressources. Pour l'écrivain, l'homme comme la société doivent tendre vers un seul but, le progrès, pour échapper au crime et à la pauvreté et aspirer au bonheur auquel accèdent finalement Marius et Cosette grâce au sacrifice de Jean Valjean. Comme le souligne lui-même Hugo dans sa préface, «Tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles».