AFP:Carton ROUGE
Que s'est-il passé samedi 28 février à l'Agence France-Presse ? Une alerte de l'agence de presse,relayée par la quasi-totalité des médias français, annonce à 14 h 27 la mort de Martin Bouygues, PDG du groupe du même nom. Interviewée par France Info, la directrice de l'information de l'AFP, Michèle Léridon, évoque une "erreur gravissime" qui "entame gravement" la "fiabilité" et la "crédibilité" de l'agence.
Elle s'est également excusée de cette "faute" auprès de Martin Bouygues, de ses proches, de son groupe et de tous les clients de l'AFP, au premier rang desquels figurent la plupart des médias français. Car leur confiance aveugle dans l'AFP, l'une des trois grandes agences de presse mondiales, leur a valu samedi d'être entraînés dans la méprise une demi-heure durant avant que la direction de TF1 et le groupe Bouygues ne démentent l'information.
L'AFP a ensuite indiqué qu'elle avait ouvert une enquête au sein de la rédaction pour comprendre comment cette erreur a été possible. Au micro de France Info, Michèle Léridon est revenue sur le film des événements. Tout part d'une rumeur entendue par un journaliste parisien du siège, explique-t-elle, et faisant part de la mort de l'industriel.
Un quiproquo
"Il nous en a fait part non pas comme d'une information certaine mais d'une piste, comme on peut en avoir tout le temps à l'AFP. Une piste qui se révèle vraie ou fausse et qu'il faut bien entendu vérifier." C'est alors au service économique de l'agence qu'incombe la mission de vérifier l'information.
Sauf que ce dernier ne parvient à joindre personne, ni chez Bouygues ni auprès de ses sources. Dans la mesure où le décès est censé s'être produit dans l'Orne, en Normandie, département couvert par le bureau de Rennes, c'est ce dernier qui est mandaté sur le terrain pour confirmer ou non le décès de Martin Bouygues.
Un journaliste local entre donc en contact avec un interlocuteur dans la commune citée. Ce dernier lui confirme bien un décès, mais refuse de citer le nom, et le journaliste appelle alors le maire d'une commune voisine. C'est là que se produit le quiproquo, les deux hommes ne se comprenant pas.
"Il lui demande si Martin Bouygues est décédé. Le maire répond oui, avec de nombreux détails sur l'heure, la commune sous le choc, etc. Le seul problème, c'est qu'ils ne parlaient pas de la même personne, ils ne se sont pas compris. Il y avait effectivement un M. Martin qui était décédé dans cette commune et je suppose que cet élu local, sous le choc, a entendu Martin et n'a pas entendu Bouygues. Je suis bien persuadée que notre journaliste a bien évidemment parlé de Martin Bouygues", détaille Michèle Léridon.
"On ne cherche pas à faire des scoops sur le décès des gens"
Suivant la procédure classique, le journaliste de Rennes envoie l'information à Paris. Et là, de nouveau, le circuit habituel de vérification fait défaut, déplore la directrice de l'information de l'agence. "À partir de là, il y a une mauvaise décision qui est prise", indique-t-elle.
"Elle est de diffuser cette information sur la foi de cette source qui était insuffisante, non pas par manque de respect pour cet élu local, mais pour une information de cette nature, aussi importante et aussi grave, bien entendu qu'il fallait recouper et prendre la peine d'attendre. J'ai répété encore à mes équipes qu'on ne cherche pas à faire des scoops sur le décès des gens."
Et loin de se dédouaner sur les réseaux sociaux ou les médias d'information en continu, sur Internet ou à la télévision, engagés dans une course à l'information, Michèle Léridon assume entièrement ce fiasco. "Là, en l'occurrence, j'ai le regret de dire qu'on était tous seuls sur cette histoire. On s'est débrouillé comme des grands pour foncer dans le mur."
"L'impératif premier, c'est la fiabilité, la crédibilité"
"L'impératif de rapidité n'a pas attendu les réseaux sociaux à l'AFP, poursuit-elle. Mais on ne cesse de répéter que l'impératif premier, c'est la fiabilité, la crédibilité. On préfère être en retard et diffuser une information juste. On mesure bien la gravité de la chose", ajoute Michèle Léridon.
Des têtes vont-elles tomber à l'AFP ? En tout cas, Michèle Léridon assure que, outre un rappel des étapes de diffusion, des entretiens ont commencé à avoir lieu "avec les personnes impliquées dans ce désastre et on prendra les mesures qui s'imposent".
À la vue de la rapidité avec laquelle la fausse information de la mort de Martin Bouygues s'est répandue samedi dans les médias, on peut se demander si ce n'est pas l'ensemble du monde de l'information qui a des leçons à tirer de cet épisode.