FRAUDE A LA SECU.
Fraude à la sécu: les auto-entrepreneurs et travailleurs détachés dans le viseur
Par Ludwig Gallet 17/09/2014
Le rapport de la Cour des comptes publié ce 17 septembre dresse un constat alarmant sur la fraude aux cotisations sociales. En ligne de mire: les travailleurs détachés et les auto-entrepreneurs.
Les boites d'interim accumulent le plus de déclarations de détachement, principalement dans le domaine du BTP, selon le rapport de la Cour des comptes.
C'est un rapport explosif que publie ce mercredi 17 septembre la Cour des comptes sur la fraude à la Sécurité sociale. Au-delà des chiffres pour le moins alarmants - la fraude aux cotisations s'est élevée entre 20,1 et 24,9 millions d'euros en 2012 - le document s'attarde tout particulièrement sur les cas des travailleurs détachés et des auto-entrepreneurs, à l'origine de "nouvelles formes de fraude peu aisées à combattre".
Des travailleurs détachés non détachés
Première source d'inquiétude mise en avant par la Cour des comptes: des abus des recours des entreprises au statut de travailleur détaché. Ce dernier se réfère à des travailleurs envoyés temporairement dans un autre pays par leur entreprise pour remplir une mission. S'applique alors pour eux le droit du travail du pays d'origine. Une particularité qui a visiblement donné quelques idées à des sociétés sans scrupules, qui n'hésiteraient pas à "présenter certains salariés comme des travailleurs détachés, pour payer des cotisations dans le pays d'origine à des taux bien moins élevés qu'en France (...) alors que ces salariés n'y ont jamais travaillé". Le montant de ces fraudes est très difficile à mesurer. Les seuls travailleurs détachés non-déclarés causeraient une perte sociale de 380 millions d'euros. Un montant qui doit être complété par les travailleurs détachés indûment déclarés.
S'il est aussi difficile de lutter contre ce phénomène, c'est parce que les investigations doivent à ce jour être menées par le pays d'origine, explique le rapport. Au vu de la croissance exponentielle de ce statut de travailleur détaché, il semble pourtant urgent d'accroître les moyens de contrôle. Entre 2000 et 2012, le nombre de travailleurs détachés est passé de 7 500 à 170 000 rien qu'en France. Les entreprises d'intérim sont au coeur du dispositif, étant concernées par 30% des déclarations de détachement (aux 3/4 dans le secteur du BTP et de l'agriculture).
Auto-entrepreneur ou salarié déguisé?
Pour la Cour des comptes, le cas des travailleurs indépendantss'avère être tout aussi difficilement appréhendable, tant la situation varie en fonction de leur profil. Globalement, le rapport fait état d'une pratique, parfaitement interdite, mais vérifiée dans le monde du travail: le salariat déguisé. A savoir le fait de dissimuler un emploi salarié sous l'apparence d'une relation commerciale entre les deux parties.
Pour "l'employeur", les bénéfices de cette pratique sont nombreux. "Elle permet notamment de verser des rémunérations moins élevées, ou de se voir appliquer des taux de cotisations plus faibles. Elle peut aussi servir à justifier, en cas de contrôle, la présence sur les lieux de production d'un travailleur non déclaré, mais préalablement enregistré en tant qu'indépendant", explique la Cour.
Le nombre d'auto-entrepreneurs approche aujourd'hui du million. Mais en dépit des avantages indéniables qu'il apporte à qui veut se lancer sans grand risque dans l'aventure entrepreneuriale, il ne brille pas vraiment d'un point de vue économique. Chez les auto-entrepreneurs, la précarité n'est pas une exception. Plus de 48% d'entre eux ne tirent en effet pas le moindre revenu de leur activité. Et lorsque de l'argent entre dans les caisses, les sommes sont rarement mirobolantes. Seuls 5% des auto-entrepreneurs ont déclaré plus de 7500 euros de chiffre d'affaires au premier trimestre 2014, selon les statistiques de l'Acoss.
Un débat étouffé?
Le débat entourant le salariat déguisé dans le monde de l'auto-entrepreneuriat a progressivement été rangé au placard. En juin 2012, pourtant, la ministre Sylvia Pinel, alors en charge du dossier, en faisait son principal argument pour justifier l'encadrement très strict du régime. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Le rapport Grandguillaume est venu apaiser les très fortes tensions qui opposaient alors les artisans et les auto-entrepreneurs. Si ses travaux ont permis de faire évoluer les positions vers la création à venir d'un statut unique de l'entrepreneur individuel, ils n'ont pas levé le voile sur l'ampleur de la fraude.
Lors des discussions au Parlement sur le projet de loi Pinel, et notamment lors de son vote au Sénat, le problème du salariat déguisé n'a pourtant pas été éludé. Ainsi, des sénateurs communistes avaient proposé un amendement supprimant la présomption de non-salariat au bénéfice des travailleurs indépendants. Devant la fronde des Poussins et la mobilisation à leur côté du député Grandguillaume, la disposition a finalement été écartée en commission mixte paritaire. Des amendements UMP et RDSE visaient quant à eux à radier du répertoire des métiers les auto-entrepreneurs ne tirant pendant un an aucun revenu de leur activité, ou encore d'interdire à un artisan salarié à temps plein d'exercer la même activité en tant qu'auto-entrepreneur. Ils ont tous deux été retoqués.
Auto-entrepreneur: une fraude inestimable
Evaluer précisément l'ampleur de la fraude relève de l'utopie. Au plus fort de son engagement sur le projet de loi Pinel, Laurent Grandguillaume estimait que le salariat déguisé ne touchait que 3% des auto-entrepreneurs. Et que plutôt que de "stigmatiser" ces derniers, mieux vaudrait accroître les contrôles des services concernés. Sur ce dernier point, la Cour des comptes dresse le même constat. Mais pour ce qui relève des chiffres, le rapport semble faire état de plus de doutes. Il rappelle en effet qu'en 2011, "un plan national d'action mis en oeuvre par les Urssaf, qui comportait notamment l'examen d'un échantillon de 1500 comptes d'auto-entrepreneurs, a abouti à un taux de redressement de 31,3% des personnes contrôlées et de 45,7% des cotisations contrôlées". Des redressements d'un montant plutôt "limité", ajoute le rapport (577 euros par auto-entrepreneur en moyenne, 1 843 euros par auto-entrepreneur ayant fait l'objet d'un redressement). Ce qui ne facilite pas, là non plus, le recouvrement des sommes dues à la Sécurité sociale.